mardi 16 juillet 2019

L'homme détruit (4) Course d'élan.


Nous nous retrouvâmes donc en équipe réduite, en binôme, petits vers qui se solidarisent, distiques, Franck et moi : à la croisée des chemins nous avions pris la décision tous les deux non pas de foncer vers le port avec tous ceux qui s’efforçaient de lancer, de structurer la manifestation prévue et déclarée que forces de l’ordre et forces du désordres s’évertuaient à tuer dans l’oeuf mais de revenir vers le lycée, le lycée enfumé, cavalé, chargé… pour voir ce qui s’y passe et si tout ne dégénère pas quand nous ne sommes pas là. Instinct grégaire ?
Franck qui n’a rien d’un vers mais qui est aussi sérieux que malicieux, athlétique que fin me demande si j’ai des lunettes, je lui dis non, il me dit, tiens, j’ai pris celle de mon fils en plus des miennes, si on se retrouve dans un nuage de lacrymo ça peut aider… La semaine d’avant il avait dérivé jusqu’aux avants-postes d’un siège de l’I(nspection)A(cadémique) organisé par les très nombreux élèves de plusieurs lycées de la ville, manifestation sans service d’ordre, sans rien et ils s’étaient fait charger, lacrymer et je l’avais vu remonter la rue depuis les dits avants-postes qu’il quittait, le Franck -moi j’essayais minablement de gérer la circulation avec deux trois autres comparses, faire ralentir les voitures, les camions pour qu’ils n’écrasent pas le flux de jeunesse venir clamer son ras le bol, raz de marée incertain, je l’avais vu donc remonter sa belle tête tordue par les larmes et la douleur :
Ça va ?
Poouf, on a essayé de canaliser un peu les gosses avec Stéphu mais on s’est bien fait cramer la gueule... heureusement qu’y a des gars du service d’ordre de la cégète qui ont un peu calmé les vélléités de titillage des flics qui sont, il faut bien le dire, en roue libre… Ah oui : je les avais vu passer depuis mon perchoir d’inutile agent de la circulation, les deux grand balèzes du service d’ordre, descendre en cavalant, et Diane qu’était plus bas les avait même vu intervenir au plus près : moi j’avais vu leur grandes jambes mouliner de plus en plus vite pour arriver à la ligne de crête, la ligne de friction et elle, elle les avait vus, ce long élan pris, sauter en même temps, concert, et balancer un grand coup de tatane sur le bouclier transparent des forces de l’ordre. Les dits boucliers reculer de trois mètres, les deux gars reprendre élan, re-saut et faire reculer deux autres boucliers histoire que les autres se remettent un peu en tortue et arrêtent d’arroser à tout va le tout-venant. Si on me demande pourquoi, comment, deux gars, certes habitués et bien coffrés, stables sur leurs appuis que ce soit le géant maigre ou le plus petit tanker peuvent faire reculer une ligne ainsi sans se faire écarteler la gueule je répondrais qu’à mon avis humble, au-delà de leurs ordres anciens et de leur discipline, c’est parce que les boucliers qui se prennent le coup retrouvent un terrain connu, leurs repères et se cadrent finalement d’eux-mêmes. Je veux bien croire même, même imaginer qu’après l’action faite, le calme ramené, ils se sont tous fait un clin d’œil avec leurs compagnons, la police, les manifestants professionnels, un signe du pouce en l’air d’une sorte d’entre-soi presque rassurant. Car oui ça doit faite une dizaine d’années qu’ils partagent le même pain gris noir quotidien, les partenaires-adversaires de la manif plus ou moins lourdingue ou craignos... C’est naïf certes comme point de vue mais quinze jour plus tard je verrai les deux mêmes gars du service d’ordre de la CGT hurler, « tu fais ce qu’on te dit, bordel », à un prof bab barbu- peut-être moi, quoi que non, bien plus jeune- qui répondait avec désinvolture à deux flics qui lui disaient de ne pas traîner au milieu de la rue, que c’était dangereux, que la circulation était pas interrompue, que rien n’était déclaré…. Il avait obéi aux deux balèzes. Et on baisse les yeux : Ordre.
Tout ça j’en sais rien, mec, aurait pu me dire Franck… mais… écoute… moi ce que je sais c’est que je me suis fait asperger la gueule pour rien du tout la dernière fois et qu’il m’a fallu trois jours pour retrouver une couleur d’œil normal et qu’aujourd’hui j’ai des lunettes et j’ai des lunettes pour tout le monde, alors prends. Celles qu’il me passe sont dahlia, un beau dahlia rose et on avance en évitant les masses en mouvement jusque devant la porte du lycée et là c’est étonnamment calme et c’est hyper flippant : au bout de la rue une masse de gars et peut-être de gazelles pour parler un peu comme avant mais on ne les voit pas car cagoulé(e)s (pour écrire un peu comme maintenant) arrivent avec détermination et force bouteilles d’essence. On se dit qu’on a pas pris la bonne décision : on va servir à rien et on va assister à du pas beau voire se faire cramer la gueule.
On est au milieu, ils arrivent par la droite et à gauche arrivent une quinzaine de fille et de mecs, c’est très peu par rapport aux autres. Comme ils portent tous un t-shirt blanc, un jean bleu clair, une paire de baskets et une veste noire style bombers, je fais tomber ma capuche en laine française sur mon dos, j’ouvre ma propre veste de blackbloquéblacboulé, j’y engouffre « mes » lunettes dahlia rose et je tire sur ma chemise de prof un peu froissée. Ça fait sourire Franck. Deux petites bagnoles blanches arrivent, en sortent encore quatre personnes et des casques que tout le monde enfile en même temps que les brassards orange de la Bac. A vingt ils occupent la largeur de la rue à peu près et sans grande densité, ils font siffler leur matraque extensible - comme je suis con, je peux pas m’empêcher de penser à Asterix en Corse et comme je suis pas trop au point je demande à Franck si ils vont servir à quoi que ce soit, avec leur petite matraque et leur petit nombre.
On va voir.
On va entendre aussi : comme les petits coquins casseurs brûleurs commencent à arriver, les baquistes se mettent à frétiller et à gueuler, font claquer dans l’air leur matraquette cravachante et bam ils chargent. Putain ils sont plus vingt ils sont plein. Ils cavalent à fond. Je bloquais depuis deux minutes sur une fille dont on devine la densité musculaire sous le jean et le bombers en me demandant si elle va partir comme une balle et je suis un gros beauf machiste parce qu’elle part comme un boulet, ses baskets, tchactchactachac, tansforment la rue en aire de décollage. Elle doit faire un mètre cinquante-cinq et c’est un missile. Vingt missiles. Vingt missiles qui foncent dispersent la horde désorganisée qui leur fait face même pas dix secondes avant de rebrousser chemin et de se volatiliser dans les petites rues avoisinantes.
Putain, il nous ont sauvé la mise, ces cons.
Et ils vont permettre à la manif de prendre.
C’était sûrement leur but, ouais.
Héhé
En tout cas
Merci, les mecs.
Merci les filles.
Perso je suis assez impressionné par le timing, ils ont commencé leur offensive pile à la bonne distance, rapport nombre/prise d’élan/ Impact… et d’ailleurs d’impact il y’en a pas eu, les autres ont pfuité avant. Heureusement. Pour tout le monde. Et parfait timing aussi dans la fin de l’action, ils ont su s’arrêter de les poursuivre juste après le moment où les autres auraient pu se réorganiser ou revenir et juste avant de se jeter dans un piège possible…
Qu’est ce qu’on fait ?
On rejoint la manif pardi.
Il va falloir cavaler, tout le monde avance au pas de charge aujourd’hui, et on n’y est pas, en avance.

vendredi 12 juillet 2019

Stu11: The Bea and The Shy Guy, fin- Reggaeton


Résumé de l’épisode précédent : après un concert à Grenoble de le STU et des FabreLasers, Christ-Florence et Clem-Clem se retrouvent sur le parking de l’Hôtel de la Musique et s’échangent des regards assassins et complices avant d’échanger ou de se vendre leurs vinyls et livres respectifs. Gui-Laurence que cet échange intéresse finalement assez peu, regarde en lui-même et se souvient : New York, la rencontre avec Bea, la mise en place de leur groupe : The Bea and the shy Guy, leurs succès…

Si y’a un mec qui a jamais pu piffrer le concept moisi de l’impermanence c’est bien Guy. L’impermanence qui justifie tout, l’impermanence alors que tout est éternel, que tout est hors du temps, que tout est le temps. Tout le temps. 
Pourtant il avait bien fallu se rendre à l’évidence que les choses ne durent pas toujours. Avec Béa, leur relation, leur musique, leur rayonnement… ça avait incroyablement bien marché tout de suite – bon ils avaient dû incarner quelque chose comme une tranche de french touch underground qui avait fait qu’ils avaient été à la fois suffisamment exotiques et dans le moule de la mode du temps pour trouver des dates et jouer jouer mais il faut avouer que ce qu’ils faisaient avait de la gueule : Bea chantait des horreurs d’une voix solaire, claviait moog ou korg, kourg, crachait, riait. Guy avec son ordi dont il lançait des boucles sales, sa caisse claire, son tom basse, sa cymbale hurlait, onomatopées ou disait des horreurs avec un regard lucidement paniquant derrière ses lunettes de vue… Ils avaient même trouvé pas mal au bout de trois concerts de jouer avec lunettes de soleil et ce qu’il sombre ou qu’il nuite, qu’il cave, l’essentiel étant de les baisser pour regarder les gens qui dansaient, qui avec son regard hilare, qui avec son regard ricanant. French Cancan… Putain ça marchait pas mal. Ça dansait. Ça tournait, Brooklyn, Chelsea… Beuverie Balroom, Chelsea Hotel Clinton, Brooklyn Métal Hilton, Brooklyn à mort… période bénie ou les petits français pouvaient se permettre les jeux de mots les plus pourris et être mignons. Béa ne se droguait plus, ils s’étaient même fixés une image, ce qui compte c’est l’image, gin fizz et vodka pure. Gin fizz pour l’abeille, vodka pure pour le timide. Après tout, c’était cohérent.
Et puis, quasi sans prévenir, enfin sans que Guy ne se rende compte qu’elle le prévenait, Béa était partie au Brésil, visiter, taffer... mais même organiser des concerts, viens avec moi on fera des concerts là-bas ! Il pouvait pas, il voulait pas… Allez, au moins quinze jours sur la côte ouest… On jouera dans les rues de San Francisco…
J’aime pas trop la Californie.
Tu les connais pas !
Tant mieux… Non mais arrête, faut rester à New York, c’est le paradis ici, on commence à être connu, faut faire son trou et puis après rayonner, rayonner… Mais l’Amérique du sud c’est une connerie…
T’est chiant…. De toute façon j’y vais, ils me payent super bien pour une pige… Je suis de retour dans un mois, six semaines au plus.
De fait elle était restée un mois et demi au Brésil et puis elle avait enchaîné avec le Nicaragua et puis… ça faisait longtemps qu’il avait quitté NewYorkCity. Il était passé quelques jours à Montréal, c’est à peu près la même bouffe sauf qu’elle est bonne et puis il était rentré en France où Picpus l’avait accueilli. Retour à la normale.
La dernière conversation tel(éphonique) que Guy avait eu avec Béa l’avait navré : elle avait plein d’idées, c’était fini New Order tout ça, depuis longtemps, tous ces groupes dont finalement elle se foutait, ce qui comptait, ce qu’il fallait faire c’était du Reggaeton, ça allait exploser, dans deux ans ça serait la folie et puis surtout c’était incroyable… Bien sûr qu’il avait raison, il fallait acheter des machines ! Quand elle rentrerait, ils achèteraient du matos et ils feraient du Reggaeton…. Elle chanterait qu’en Espagnol et en Portugais…
N’imp. Finito. Oui oui.

Guy n’a finalement pas plus envie que ça de rester dans la cavité de son cerveau et revient sur le parking où les choses s’éternisent. Il regarde tous les protagonistes à la con et quand il voit ce qu’il voit… il se dit que les choses ne durent pas mais que la connerie fondamentale des êtres reprend toujours le dessus et que les membres de son groupe vont encore fatalement le faire chier : le petit corse va bien finir par repiquer un crise de nerf, que la seule chose qui l’intéresse c’est Corona, the rythm of the night et le whisky coca mais attention pas façon HappyMondays, non, boîte de nuit qui sent la cigale et la pisse… Le petit marseillais quoiqu’il dise fasse ou joue avec brio la seule chose qui l’intéresse c’est l’OM et les jeux vidéo, la musique des jeux vidéo à la rigueur – ah oui et le pastis. Quant au dernier, l’espagouin qui veut faire et se faire croire qu’il est anglais… mon dieu… Francis Cabrel et Johnny Halliday… Non définitivement, mieux vaut définitivement basculer dans la fiction et continuer le groupe avec Agnès-Agnès, Esther-Céleste et Fleur-Florence, elles le feront moins chier, quitte à devenir définitivement Laurence, sans perdre le temps à faire le deuil de Guy from The Bea and the shy guy ou de quoi que ce soit d’autre.
Et, dis-moi, Laurence, Fleur, Agnès Céleste et toi vous faîtes toujours partie du STU ou tu changes aussi le nom du groupe ? Tu féminises aussi ? La STU ? La Studette ?
Non La Stu, ça me plaît pas… La Sainte… Voilà :
La Sainte, petites fêlées. Petites fêlées de couleurs vertes ou bleues.
Addendum 1 :
Si on se souvient qu’il y avait aussi un narrateur en jean troué, baskets blanches dégueulasses et marcel trop grand de basket 23 Jordan il dirait que dans toutes ces histoires qu’il n’avait pas suivies laissant ses amis s’éclater vraiment sans lui à NewYork, baiser toutes les meufs et tous les mecs arty qu'ils pourraient croiser après leur sortie de scène, que dans toutes ces histoires donc, la seule chose qu’il retenait, finalement, c’était la remontée vers Montréal en passant par les lacs : des lacs grands comme des mers, des arbres mystiques, autels qui te rappellent qu’avant ici c’était les indiens et que c’est eux leurs habitants naturels et le dernier des Mohicans et Bas de cuir, à la rigueur… le sentiment d’un incroyable paysage qui défile le long des vitres de la voiture de location, ou du train ou du buscar de la greyhound peut-être, couleur locale. Incroyables paysages à la fois sublimes et non oppressants et que l’Europe aille se faire foutre- Et cinquante euros dans la main du pédopsychiatre pour le lyrisme à deux balles - et pour le gimmick.
Addendum 2 :
Si on imagine que PicpusCactus reparle parfois avec Guy de cette période-là :
Alors, tu l’as baissée, cette Béa ?
Mais… Pas du tout !
En tout cas pour le Reggaeton, elle avait raison.
Entre autres choses.

La prochaine fois: la fin du duel au soleil. (En trente secondes)

mercredi 19 juin 2019

L'homme détruit (3)


Au milieu de  la rue qui commence à se vider parce que ça charge plus au sud, au niveau de la gare, et que cela permet un temps de respiration, pour peu que l’on reste à bonne distance des lacrymos jetées à tire larigot, revient un souvenir, un reste de dialogue avec Man., plus exactement et sans que cela signifie forcément une grande complicité, ou au contraire une servitude de la pensée de l’un à la pensée de l’autre, un monologue à deux voix proches :
Moi si c’est la guerre, j’ai pas ma place. J’ai pas de camp.
Pareil, peux pas trancher, pas envie de trancher, tranchera pas…
Ou alors à la rigueur, la croix rouge…
Equipe médicale internationale.
Brancardier, alors, non ? Parce que vu les compétences…
Brancardier.
Bien lâche.
Parfait.
Au milieu de la rue la situation est de plus en plus complexe : au loin à gauche les flics chargent ou se font charger par un mélange de casseur, de badauds et de bloqueurs et pilonnent : vas-y que j’envoie les moulinets et les gaz ; à droite remontent des gars vêtus de noir, casquette noire, foulard noir, regard pareil avec des petites bouteilles non pas de rouge mais d’essence et mécaniquement, sans un mot, sans bouger continuent de mettre le feu à des poubelles. A gauche, robocops incomplets, trop de chair, à droite, petits terminators secs, incomplets aussi, trop d’os. Entre ces deux feux de camp un groupe composé d’élèves qui ont décidé d’être là mais pas dans ces conditions et des  parties de corps enseignants qui hésitent depuis deux semaines à s’éloigner, à accompagner, qui ne veulent pas avoir une influence sur ceux qui ne les écoutent pas… bref au milieu de la rue, je ne prends toujours pas de réelle décision autre que celle de mon corps : ne pas bouger mais j’ai entendu quelqu’un de raisonnable qui ne veut pas partir sans rien faire, dire qu’il faudrait dire aux élèves venus en toute bonne foi que la situation dégénère et qu’il conviendrait de prendre la poudre d’escampette pour ne pas prendre feu. Je me dis, pas con comme idée et je vais voir Camille, sage et forte depuis quinze jours : Vous ne pensez pas, vu la tournure que prennent les choses qu’il vaudrait mieux envisager une dispersion ?
Monsieur, on s’est donné rendez-vous ici pour manifester, on est venu ici pour manifester et nous allons manifester. Donc non : pas de dispersion.
Réponse claire. Merci.
L’esprit ailleurs et pourtant ici, suis-je content d’avoir posé la question à mon corps défendant ? Moins content de la question que de la réponse, non pas parce que c’est une bonne réponse mais parce que c’est une réponse franche, sincère, tranchée. Camille et moi n’occupons pas le terrain de la même manière à ce moment-là : sa parole est performative et la mienne est interrogative. C’est comme ça.
J’ai demandé une cigarette à une autre partie de on, bien que je ne fume pas et je l’ai allumée et je l’ai fumée. Une partie de on reste.
Dans les minutes qui suivent, dans les mouvements de foule qui cavale, bat en retraite, se replie sous la charge c’est comme se retrouver embarqué dans un rouleau à la plage, zone gravillon, bouillon : tu crois savoir que tu vas en sortir râpé, toussotant, foireux au pire mais tu n’oublies pas qu’il est pas impossible, une chance minime mais réelle, que tu suffoques et que tu te brises.
En 2007, à Istambul j’avais empêché, j’avais interdit à Em. et Gui. d’aller se mêler à la foule qui se faisait tabasser au pied de la tour de... Galata. Mon argumentaire était simple : premièrement, c’était pas des gentils flics français, ils cognaient très fort, bâtons, moulinets, deuxièmement la curiosité et la colère, l’envie d’en découdre ne sont pas de bonnes raisons pour se faire tabasser, troisièmement, si on va faire ce genre de choses, il faut s’y préparer, style c’est pas parce que nous ne voulons pas être des loups qu’il faut être des agneaux… saint peut-être, martyr jamais. Ils ont haussé les épaules, je les ai attrapés par le col et je les ai traînés loin de la tour. Ils m’avaient trouvé un peu con. Onze ans plus tard, y’a rien à voir. Ai vieilli, ai un peu changé, suis devenu plus con et moins con mais surtout au moment précis où je m’adresse à Camille suis pas moi mais moi et Monsieur quelque chose, qui n’est qu’une partie de moi ou une extrapolation de moi, un costume de moi- en soie, bien sûr, un peu froissée. Sauf que voilà : si c’est Monsieur quelque chose et rien du tout qui a adressé la parole à la personne appelée Camille ici, c’est maintenant moi qui décide en fonction de mon corps qui veut encore s’appesantir pesamment sur les lieux, sur la scène, et de la phrase jugée pertinente de Camille, de ne pas partir mais de continuer d’être présent, d’une certaine façon, même si ce n’est pas satisfaisant, accompagner.
 Evidemment cette décision est possible parce que je ne suis pas seul à la prendre, on est encore quelques uns. Cette décision qui n’est ni courageuse, ni très importante. Ni très originale.
On est encore quelques-uns et il est temps de regarder autour de soi, autour de nous et de prendre une direction. C’est là que deux groupes vont se former. Va falloir être mobile, va falloir être léger.