C’était comment ?
C’était un peu rigolo quand
même… par exemple quand le gars qui devait avoir seize ou vingt-deux ans, je
sais pas vous mais ça y’est, je ne suis plus capable de donner un âge à qui que
ce soi(t), je peux facile me tromper d’une dizaine d’années, mais je me
souviens qu’il était assez grand, assez fin, brun, peau plutôt pâle et yeux
rieurs, genre qui va faire une connerie et au début, au début, ça va te faire
rire, a dit à ses potes qu’il se passait rien et qu’il fallait qu’il se passe
quelque chose. Fallait occuper le milieu de la rue. Fallait que ça se voie,
fallait que ça chauffe.
Moi j’étais dans mon coin
à pas trop savoir ce qu’on foutait là, un peu hébété dans le froid mais tout le
monde est pas si mou de la volonté que ça et y en a un ou une d’entre nous qui
a compris très vite que ce jeune homme facétieux connaissait aussi bien que
nous les lieux et cette bagnole pourrave, qui avait dû être rouge dans une
autre vie et qui finissait tranquillement celle-là sur le bas-côté. Oui elle
était ouverte, pourquoi quelqu’un se serait-il fait chier à la fermer avant de
l’abandonner ? Elle était ouverte et notre grand gaillard est rentré
dedans, a desserré le frein à main et l’a laissé couler du trottoir sur la
route en s’aidant mollement de se jambe floquée Arsenal FC. Le ou
la plus preste d’entre nous y est allé et a dit mais qu’est-ce que vous faites
–ou qu’est-ce que tu fais, choisissez vous-même comment on s’adresse aux gens.
Bê je mets la voiture au
milieu de la route, on va la brûler.
Bê ça va pas,
remontez-la.
Bê non.
Bê du coup on y est tous
allé, faire masse : oui, on va remonter la voiture sur le trottoir et
personne ne va rien brûler
Rhoo vous êtes chiant.
Remontez-la vous-même…
Ce que nous fîmes. On a
remonté la voiture sur le trottoir, elle a pas brûlé et je crois même que ce
jour-là, rien n’a brûlé, ce qui n’a pas du tout été le cas le mercredi suivant
où, pris entre deux, trois feux, le regard ne pouvant se poser sur aucun visage
rieur, querelleur ou inquiet, à cause de la fumée qui mettait du temps à se
dissiper mais surtout à cause des casques, des foulards, des masques, des
cagoules selon l’équipe à laquelle tous ceux que nous ne connaissions pas
étaient affectés, j’ai pensé à peu de chose près et au même moment ce qu’une ou
un collègue a dit à voix haute :
Putain mais j’ai un gosse
à la maison et qu’est tout petit et qu’est pas du tout autonome et je peux pas
me permettre de me faire casser la gueule ici, moi, ou pire, et de ne pas
rentrer…
J’ai pensé la même chose,
à peu près, donc, évidemment, mais je suis resté sur les lieux.
Par paresse
d’abord : la flemme de partir. Par un côté grande Catherine :
« je veux voir » aussi. Et peut-être encore par une croyance, une
confiance en mon évaluation personnelle et pertinente des risques – combien de
fois je me suis manqué dans cette évaluation personnelle des risques, combien
de fois je m’en suis mordu les doigts… Pas tout le temps.
Des trois composantes de
ma raison de rester sur les lieux c’est la flemme comme d’habitude qui fut la
plus puissante et la curiosité grande Catherine la moins évidente… c’est du
moins ce que je me dis pour me rassurer et je vais commencer par ça : la
curiosité, voir comment ça va tourner. Reporter de guère. De pas grand-chose.
Avant ça, la répugnance
de la curiosité mal placée : L’envie de voir, la curiosité c’est mignon
mais le safari c’est dégueulasse. Le safari géographique, le safari social, les
rues fléchées de la connaissance de l’autre qui, lui, ira jamais chez toi… le
safari. Tu mates derrière la vitre et tu te branles même pas.
Alors oui, il paraît que « si
le voyage te transforme t’es un voyageur et que s’il ne te transforme pas t’es
un touriste. » Bof.
Et surtout : les gens chez qui tu vas ? Dont tu
explores les contrées, connard ? C’est des quoi, eux ?
Ce qui est beau c’est l’interraction,
la relation de confiance.
Mon cul.
Il faut que nous arrêtions
tout cynisme grandiloquent : pendant cette période hivernale nous étions
sur notre lieu de vie, notre lieu de travail, sur nos horaires de travail. Chez
nous et pas chez nous parce qu’on est jamais chez soi. Parce que chez soi…
Et le lieu était
terriblement stratégique : un carrefour relativement dégagé, en ville, un
croisement, une croix sur la carte, avec grandes avenues pour courir, plus loin
petites rues pour se planquer. Deux heures plus tard je verrai Y. détaler comme un lapin gracile autant que désarticulé et me passer devant et j'aurai la force de dérision débile de lui crier : "vous vous trompez de sens demoiselle" Et elle de pas répondre parce que court hurle, rit, part, s'en fout. Parfait.
Le matin, quand fut prononcée la phrase lucide et intelligente de ma collègue il aurait été temps d’emprunter les voies
empruntables et de rentrer chez soi mais le fait est que nous avons été plusieurs,
à tort ou à raison, sans donner tort et donner raison à quiconque, et
heureusement, moindre des choses, nous sommes encore un peu restés à ce carrefour qui pouvait aussi,
trop con pour s’en rendre compte, se transformer en cul de sac.
- Je dramatise mais, pas de panique, objectivement il ne s'est pas passé grand chose
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